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les petits mots

Le problème, dit mon père

Le problème, dit mon père, c’est que le théâtre fige tout. Le théâtre est une sorte de commercialisation de la pensée et de la poésie. Le théâtre, dit mon père, ce n’est pas interroger réellement les gens qui ne sont pas là. Ceux quine sont pas venus au spectacle ne sont pas interrogés. Et c’est là le drame, dit mon père. Le drame théâtral se noue dans le fait qu’il fige la représentation. Il interprète la pensée, la poésie, les actes, la vie. Interprétation = mensonge, dit mon père. Que font ceux qui sont rentrés voir le spectacle ? Comment sont-ils rentrés ? Pourquoi il y a tous ces gens dehors ? dit mon père. Pourquoi les gens dehors ne sont pas rentrés ? Comment sont les gens dehors ? Sont-ils pareils lorsqu’ils sont rentrés ? Pourquoi sont-ils rentrés et comment et qu’ont-ils avec ceux de dehors ? Avec ceux quine sont pas rentrés ? Ce ne sont pas du tout les questions du théâtre, dit mon père. Ou alors ce sont des questions que nous allons traiter avec une voix spéciale et un décor tout spécial. Avec toute la spécialité lumineuse du théâtre et avec toute la spécificité spéciale de la représentation des corps, des gestes et des paroles spéciaux de ces corps, dit mon père. Et que nous allons même dire «tout ça c’est du corps», c’est-à-dire un pousse-à-l’entassement. Comme du «pousse-au-vice». Ou «pousse-au-crime». Tout ça c’est déjà des formules d’entassement et de mise en bière pour la vie et la pensée, dit mon père. Tout le théâtre renferme en lui seul ce qui est contre la vie. Car il n’interroge pas du tout ce qui ne foutra jamais les pieds dans son théâtre. Tout ce qui ne fout pas les pieds dans le théâtre est simplement la vie, dit mon père. Le spectacle rentre. Les spectateurs rentrent. Tout le monde est rentré sauf le plus important, c’est-à-dire la vie. Alors tout théâtre devrait déjà faire avec le vide de la vie, dit mon père. La vie devrait être sa cible manquante, son spectateur inerte, son public impossible et toujours absent et il devrait arrêter avec ses formules fausses, ses formules qui chassent la vie à pleines mains. Il n’y a pas de vie qui passe dans le théâtre, dit mon père. Il n’y a que des formules d’entassement à pleines mains et de la technique plein la vue. Même le noir est une technique pour nous en foutre plein la vue, dit mon père. Je n’ai rien contre la technique cependant. Seulement, la technique dépasse les techniciens. Car les techniciens oublient que la technique est plus vieille que le plus vieux des techniciens. Tout comme la technologie, dit mon père. Les technologues s’imaginent que nous sommes encore dans un devenir technologique. Alors que c’est à partir du moment où l’homme arrête d’être singe qu’il est dans son devenir technologique. Les machines ont le mérite d’emboucaner l’intime. L’intime fait gros bruit grâce aux machines et non grâce au beau grain de voix de l’acteur. Il vaut mieux être un beau grain de fille qu’un beau grain de voix, dit mon père. La voix passe par les oublis de la bande et par les trucages les plus divers pour discerner mieux. Mieux dire et cerner soi par la bidouille. Mais est-ce vraiment important de vivre ces passages à la bidouille, dit mon père. Car ce qui reste de l’artiste est bien souvent son passage dans la forme. Son passage à la forme est son passage par les armes. Il faut passer aux armes les comédiens, dit mon père. Avant qu’ils nous en foutent plein la vue. Car le théâtre ne sait dire que les absents ont toujours tort. Alors du coup c’est le contraire, dit mon père. C’est le théâtre qui a tort et les absents qui ont raison de s’absenter.

 

In Comprendre la vie p.184 à 187

POL, 2010.

RACONTERIES chez ABRUPT, parution le 15 mai 2025.

Dans la voix, la langue résiste à la littérature. Par cette manière de retourner la table du sens, la voix déploie tout ce qu’elle ne peut pas et l’offre négativement à qui sait l’entendre. Avec l’incertitude de l’onde sonore qui se fracasse. Des interstices qui se veulent continents. Tendre l’oreille et observer le signe brut, creux. Lui cracher à la figure. Cracher à la figure d’un signe, c’est comme cracher à la figure d’un fantôme. C’est un geste qui nous traverse plus qu’il ne traverse le monde. Jusqu’à faire perdre toute figure, toute fixité aux choses. Toute fixité à l’intérieur des choses. Par cette langue qui va au réel, et revient jusqu’au-dedans de nous pour libérer de l’espace. De l’espace pour une dialectique du dedans et du dehors. De soi et des mots. De soi et des morts. Et laisser entendre quelques raconteries qui montent comme des vagues et s’élancent — vers nos oreilles ? — en pétillant.

https://abrupt.cc/charles-pennequin/raconteries/

antilivre

Trognes de mots, Capses réalisées par Gilles Olry & Charles Pennequin

Le 16 avril 2025, à la galerie El Taller treize, à Ille-sur-Têt, durant le festival l'Illa dels poetes d'André Robèr, il y aura la présentation d'une boîte ("capsa" en Catalan) intitulée Trognes de mots, faite par Gilles Olry & Charles Pennequin et regroupant des dessins & peintures originaux, essentiellement de Gilles mais aussi quelques "binettes", dessins de profils, ainsi que des textes sur des papiers "fumier d'âne", "écorce de mûrier", papier de riz ou Aquari plantable ou d’herbes de l’étang (également trois tapuscrits originaux sur papier triplicopiant). Est inclus aussi un fanzine réalisés par les deux artistes (en tout il y a environ une vingtaine d'oeuvres réalisées dans chacune des capses - 16 en tout - numérotées et signées). Lire ici le descriptif des capses, une collection initiée par Esteve Sabench et André Robèr. sur le site Paraules.

 

Gilles Olry :

Smack M/M on canvas 130x130cm (image sur le site de l'artiste, https://www.gillesolry.com/)

smack

on peut pas l'obliger

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Gianna je t'aime ich liebe dich kenne nichts liebe nina hagen etc

Je t'aime. Je n'arrive pas à y croire. Toi tu y crois. Moi je sais que j'ai un amour total mais il m'échappe. Il part sous la main. Il va sous le cœur, comme un rat sous la gazinière. On voit sa queue qui dépasse. Une grosse queue d'amour que je n'arrive pas à dissimuler. Je t'aime avec mon gros rat dans la grande maison abandonnée. C'est une demeure où il y avait les éclaireurs. Et toi tu m'aimes follement aussi, dans ton blockhaus. Tu me tires dessus depuis les meurtrières. On est tous les deux prêts à se canarder. On a nos munitions. On est parés pour l'amour, dans nos tranchées, à poireauter une prochaine charge. La future invasion amoureuse.